Le cri de l'Arbre

Miti's Kopit.jpg

Kopit se réveilla en sursaut. Un bruit terrifiant le fit frémir de peur, mais en même temps un silence oppressant le terrifiait encore plus, lui laissant présager qu'un drame horrible était en train de se produire. Le silence des oiseaux. Il était anormal et angoissant qu'aucun ne chante comme tous les autres jours.

Mais ils ne pouvaient pas chanter en ce sinistre matin.

 

Il sortit en trombe du wi'gwam. Les Anciens, les hommes et les femmes regardaient, dans l'aube naissante un gros nuage de poussière s'élever dans le ciel, assombrissant les premiers rayons de soleil. 

- Ta'ta, que se passe-t-il? demanda-t-il d'une voix anxieuse à son père qui se tenait droit, les muscles tendus, le regard empli d'une noire colère. Celui-ci ne répondit pas, fixant le nuage qui semblait avancer et dont le bruit s'amplifiait de façon inquiétante.

- Ta'ta! insista Kopit, de plus en plus inquiet.

 

La voix d'un Ancien s'éleva, tremblante de colère.

- Ils sont revenus!! Et ils sont revenus cette fois avec leurs machines infernales!! Encore une fois, ils ont trahi leurs paroles! Encore une fois, ils nous ont menti!! Leurs paroles n'ont aucune valeur!! Leurs mots ne sont que mensonges!! 

- Nous devons aller les combattre!! s'insurgea un homme. Tous approuvèrent et un grondement de révolte s'éleva de toutes parts.

 

Soudain, le petit Kopit se mit à hurler:

- Moqwa!!! (non!!!) Moqwa!!! Nitap Miti's!! Moqwa!!! Il partit en trombe. Son père cria:

- Kopit!! Moqwa!! Kopit!! Reviens ici, Kopit! Il partit en courant derrière son fils mais celui-ci prit rapidement de l'avance.

L'enfant accéléra encore en criant:

- Nitap Miti's!! Nitap Miti's!! (mon ami l'arbre!!) Moqwa!!

Puis d'un coup, il disparut aux yeux de son père. Le nuage de poussière avait dévié sur la gauche, là où l'enfant se dirigeait et lui cachait tout l'horizon.

 

Kopit, essoufflé, fit une courte pause et regarda autour de lui. La poussière de la terre soulevée l'enveloppait, le bruit était assourdissant, effrayant et terriblement proche. Il eut du mal à reconnaître le sentier par où il passait chaque jour. Il reprit sa course et soudain, s'arrêta net devant une clairière qui n'avait jamais existé auparavant. Les arbres, déracinés, gisaient à terre, leurs racines s'agitaient tremblantes du lourd grondement des machines monstrueuses. Alors, ils les vit...  Horribles, immenses, de couleur jaune, grondantes, gigantesques monstres sur des chenilles, dégageant une odeur âcre, elles avançaient sans hâte, détruisant tout sur leur passage. Et elles se dirigeaient vers...

- Nitap Miti's!!!!!!!!!!! hurla Kopit en courant de toutes ses forces. Moqwa!!!!!!!!!!Moqwa!!!!! Nitap Miti's!!!!!!!!!

 

L'Arbre, bien planté dans la terre depuis des centaines d'années, voyait avec terreur le drame qui se jouait autour de lui. Soudain, il sentit un coup brutal porté à son tronc. Malgré sa douleur, il résista. Puis un autre coup et encore un autre, et encore un autre et un autre encore. La machine s'acharnait contre lui. Il sentait une douleur fulgurante l'envahir. Il sentait ses racines si loin ancrées dans la terre depuis si longtemps, se déchirer une à une. Il luttait de toutes ses forces, essayant de s'accrocher comme il pouvait. Mais à chaque coup de la machine infernale porté sur lui, il sentait ses forces faiblir et bientôt, il sentit son corps commencer à s'incliner. De toutes ses forces, il essaya de résister. Mais la machine était trop forte contre lui et il dût lâcher prise.

Alors, dans un grand cri de détresse et de désespoir, il dût se résoudre, contre sa volonté, à abandonner la vie. Sans comprendre pourquoi, il sût qu'il allait mourir à tout jamais. Son cri résonna à travers la forêt, tremblante et terrifiée. Il résonna comme un grand cri de désespoir et d'appel au secours.

Kopit l'entendit et vit au même moment son ami de toujours s'effondrer dans un énorme fracas, rebondissant sur lui-même, ses branches frémissant sur le sol et ses racines tremblantes s'agitant dans les airs.

Kopit hurla de rage et de désespoir et courut vers lui. Il l'étreignit de toutes ses forces, s'allongea sur lui dans l'espoir de protéger son ami et d'arrêter le massacre et laissa couler de son coeur tout la souffrance qui l'étouffait. 

- Nitap Miti's!!! Nitap Miti's!!! Des larmes de profond désespoir, de totale incompréhension et d'une rage incontrôlable jaillissaient de ses yeux tandis qu'il serrait le tronc de son ami, s'accrochant à lui comme un naufragé dans cette mer de désolation qui était, hier encore, une des plus magnifiques forêts qui soit.

 

La machine monstrueuse continuait impitoyablement son travail de destruction et en manoeuvrant accrocha une des gigantesques racines de l'arbre qui roula légèrement sur le côté, manquant déséquilibrer l'enfant. L'Arbre résista et ses branches firent un écran protecteur autour du corps du petit Kopit.

Mais l'opérateur du monstre tueur le vit et donna un coup de klaxon. Ce bruit strident effraya l'enfant qui resserra encore son étreinte autour du tronc de son ami. Sa joue inondée de larmes collée contre l'écorce, il sanglotait sans pouvoir s'arrêter.

 

- Kopit, dit doucement l'Arbre. Kopit, mon petit castor, tu dois partir! Tu ne dois pas rester ici, c'est dangereux!

- Moqaw Nitap Miti's! Moqaw! Je veux rester avec toi! Ses pleurs redoublèrent.

 

Comme l'enfant ne bougeait pas, l'opérateur arrêta sa machine et s'apprêtait à en descendre.

 

- Kopit, reprit l'Arbre d'une voix plus faible, Kopit, Nitap Kopit! Tu dois partir maintenant! Tu ne peux plus rien pour moi. Mon corps va mourir. Mon corps, jadis fièrement dressé vers le ciel est désormais couché sur la Terre pour toujours. Mais je resterai vivant pour toi Kopit. Pas ici mais dans ton esprit et ton esprit me gardera en vie, partout, sur tous les sentiers, partout où tu iras. Où que tu sois, je serai près de toi. Kopit, petit castor, tu dois partir maintenant et mon esprit déjà t'accompagne.

 

- Hey!! Gamin!! Qu'est-c'est tu fous là?? Sors d'ici! C'est pas un endroit pour jouer! Away!!

 

Camouflé à travers le feuillage, sans bouger, Kopit jeta un regard à celui qui venait de lui parler ainsi. Il vit d'abord ses bottes, ses jeans, sa chemise, puis sa grosse barbe blond sale. Sa bouche s'ouvrait dans un rictus d'impatience tandis que ses yeux brillaient de colère. Les sourcils froncés. Son front était dégarni et ses cheveux ébouriffés du même blond sale que sa barbe, étaient emmêlés et couverts de poussière. Kopit ressentit un sentiment de haine qu'il n'avait jamais connu jusqu'alors. 

 

- Kopit! Apje'jit Kopit! Petit castor, tu dois partir maintenant. Ne le laisse pas t'attraper! Vas mon ami! Vas mon enfant! Vas mon frère! N'oublie pas que je suis près de toi, avec toi et en toi! Je le suis depuis que tu es né et je le serai toujours! Vas  maintenant! La voix de l'Arbre n'était plus qu'un murmure.

Kopit appuya fortement ses deux mains sur le tronc de son ami et posa ses lèvres et son front sur son écorce rugueuse.

 

- Hey, gamin!! J'tai parlé!! Sors d'ici tout de suite!!

 

Il sentit alors l'esprit de son ami entrer dans le sien et en éprouva toute la force et toute la sagesse. Il ressentit un immense soulagement qui apaisa sa douleur. Il savait maintenant où était son combat et il savait qu'il ne serait pas seul pour le mener. Jamais.

 

Cette force soudaine lui permit de se relever et d'affronter l'homme blanc qui se tenait devant lui.Il planta son regard brillant de rage, fier et déterminé dans celui du tueur. Celui-ci eût un imperceptible mouvement de recul face au regard de l'enfant. Et cette faiblesse le mit dans une colère noire.

 

- J't'ai dit de partir!! Away! Go! c'est pas une place pour jouer ici!

 

Les autres opérateurs, s'étant rendu compte que la machine de leur ami s'était arrêtée, arrêtèrent les leurs à leur tour et en descendirent pour voir ce qu'il se passait.

 

Kopit, silencieux, continuait de le fixer sans bouger.

- Es-tu sourd? Es-tu niaiseux? Possible, après tout, t'es qu'un maudit sauvage!!!

L'enfant avança d'un pas et l'homme recula, instinctivement.  Puis il vit ses amis s'approcher et reprit contenance.

Le regard de Kopit, lourd de colère et de profond chagrin, ne le quittait pas des yeux.

- Allez, maudit sauvage! Dégage de là!! On a du travail, nous! J'te le dirai plus!! s'énerva l'homme d'une voix forte.

 

La voix de Kopit s'éleva alors.

- Tu as tué mon frère et c'est moi le sauvage?! Tu tues ma soeur et c'est moi le sauvage?! Tu tues ma Mère et c'est moi le sauvage?!

Alors que ses amis étaient maintenant assez proches pour entendre ce qui se disait, l'homme partit d'un gros rire ironique et méprisant.

- J'ai tué ton frère? Je tue ta soeur? Et ta mère en plus?? Non, mais!! T'es complètement fou, pauvre débile!!

- Tu as tué mon frère et c'est moi qui suis fou?! Tu tues ma soeur et c'est moi qui suis fou?! Tu tues ma Mère et c'est moi qui suis fou?! reprit Kopit

- Vas-tu finir à la fin?!!!! J'ai tué personne!!! Et toi, t'es qu'un maudit sauvage complètement fou!!!! Maintenant, away, dégages avant que je te tue, toi, pour vrai!!!

Un des hommes intervint:

- Qu'est-ce qu'y s'passe? Qu'est-ce qu'y raconte?

- Ch'ais pas, mais l'est mieux d'arrêter et vite!! Avant que je lui foute une sacrée bonne raclée!!

 

Kopit continuait de fixer l'homme de son regard chargé de colère et d'une tristesse infinie. Comme il aurait aimé être grand à ce moment précis! Comme il aurait aimé être déjà un homme! Comme il aurait aimé avoir de la force dans ses bras autant qu'il en avait dans son esprit et jeter à terre cet homme immonde qui venait de tuer son ami, son frère!!!

 

Il se détourna et tendit le bras vers l'immense arbre déraciné. Son coeur empli de chagrin eut un sursaut de désespoir mais il se ressaisit et se tourna de nouveau vers l'homme.

 

- Nitap Miti's était mon frère. Il a été relié à moi à ma naissance. Et tu viens de le tuer! Nkwéjíj sipu, ma soeur rivière, tu es en train de la tuer! Ugs'tqamu, notre Mère à tous, tu es en train de la tuer aussi!! Tal gis??! Pourquoi??! Pourquoi as-tu fait ça?! Pourquoi fais-tu ça?!

 

L'homme blanc se gratta la barbe d'un geste nerveux.

- Écoute, morveux! J'ai pas qu'ça à faire de t'écouter délirer! Alors, maintenant ça va faire!! Tu dégages, right now!!

- Ouais, renchérit un autre, on a une job à faire ici!! Away, gamin! Retourne dans ton village, voir ta mère!

Kopit ne quittait pas le tueur des yeux.

- Tu n'es même pas capable de répondre à mes questions!! Tu n'es pas honnête!! Tu n'es pas un homme!!!

 

L'homme blanc blêmit de rage et d'un geste sec son bras se tendit pour saisir le cou de l'enfant. À ce moment, un grognement terrible se fit entendre, tout proche.

- Qu'est-c'est ça? demanda un des hommes

- Un ours!!! s'écria un autre

- Ouais! dit un autre en s'éloignant rapidement.

L'homme blanc pivota sur lui-même, scruta le feuillage, se retourna et avançant d'un pas rapide vers sa machine, dit à ses amis:
- Away, les gars, on s'en va d'ici!!!

Une fois dans leurs machines, se sentant à l'abri, ils démarrèrent et dans un fracas épouvantable, s'éloignèrent pour continuer leur travail de destruction plus loin.

 

Kopit se retourna à son tour, droit, toujours fixant l'homme blanc d'un regard méprisant et empli de colère, ne bougea pas d'un pouce. Il avait reconnu la voix de son Tata't imitant l'ours.

Lorsque les machines se furent éloignées, soulevant un gros nuage de poussière, celui-ci s'avança et d'un bras enlaça les épaules de son fils, toujours droit et immobile.

- Ta'ta, pourquoi ont-ils fait ça?! Pourquoi font-ils ça?! Pourquoi? Tal gis, Ta'ta?! demanda Kopit d'une voix tremblante de chagrin contenu.

 

- Ils sont venus pour examiner le sol, en-dessous. Et ils ont découvert quelque chose qui s'appelle du pétrole. Quelque chose qui permet de faire du pétrole et ils disent que le pétrole rend riche celui qui l'acquiert. Alors, ils vont creuser pour extraire cette chose. Ils l'ont déjà fait ailleurs et maintenant, ils veulent le faire ici. Ils nous ont dit que notre Terre serait protégée, ils ont signé des papiers, mais encore une fois, ils nous ont menti!!!

- Ils n'ont aucun droit de détruire Ugs'tqamu!! Notre mère à tous ne leur appartient pas!! Ils n'ont aucun droit de faire ça!! s'écria Kopit, le coeur déchiré.

- Mukk atkitemiw Apje'jit Kopit (ne pleure pas, petit castor). Tu vas les combattre! Nous allons tous les combattre! Nous nous battrons tous ensemble pour protéger Ugs'tqamu!!

 

La voix de Nitap Miti's, forte, calme, résonna dans l'esprit de l'enfant.

- Getlams'tul Nitap Apje'jit Kopit! Je crois en toi et nous mènerons ce combat ensemble! Et nous le gagnerons!

 

Kopit redressa ses épaules et regarda son père. Ses yeux noirs et brillants reflétaient une détermination sans faille et une volonté à toute épreuve.

- Nous gagnerons ce combat, Ta'ta!! Nous nous battrons pour Ugs'tqamu, notre mère à tous! Et nous gagnerons ce combat!

- Te's mitis weji qji'jut ta'n goqwe'l nebel (chaque arbre se reconnaît à son feuillage). Le tien est fort, mon fils! et il saura se tenir droit!

 

Le combat de Kopit se poursuit et il n'aura de fin que lorsque la Terre, Ugs'tqamu, notre mère à tous aura retrouvé tous ses droits.

 

Telueieg nkamlamunk weji-sqalia'tiek 
Nous disons dans notre coeur que nous avons émergé de ce paysage 

Ta'n te'sit sqapantiej amujpa gegina'mut.
Kisiku'k iknmuksi'k...
Nsituo'qn, Kiso'ltimkewey, Kesaltultimkewey aq Mimajuaqn.
Tout débutant doit être enseigné.
Que les Anciens nous guident...
dans la connaissance, l'humour, l'amour et la vie.

 

 

 

 

Je remercie Mi'kmaq Sa'n pour ses citations et son vocabulaire et toutes les richesses de son site fabuleux.

Merci de tout mon coeur! Wela'lin Mi'kmaq Sa'n

 

Je remercie également Mi'kmaw Sa'qmaw Dr. Daniel N. Paul qui m'a gentiment suggéré le nom de Kopit pour mon petit homme et dont le site est à consulter sans faute de même que sa page Amazon terriblement touchante.

Merci de tout mon coeur! Wela'lin Mi'kmaw Sa'qmaw

 

 

Les sables bitumineux sont un véritable désastre écologique, environnemental et humain. Pour en connaître toute la vérité, cliquez sur ce lien:  la vérité sur les sables bitumineux.

 


 

 



19/12/2020
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